La médecine napoléonienne au combat par Xavier Riaud (*), FINS
Après les combats, le sol est jonché de débris de cadavres et de blessés. Le champ de bataille est un spectacle si désolé, si terrible, en particulier lors de batailles particulièrement meurtrières comme Wagram (1809) par exemple que Napoléon en a des larmes aux yeux. L’Empereur ne veut pas que les non-combattants gênent la marche de ses soldats. Aussi, leur demande-t-il de rester à l’arrière. Les blessés légers, ceux qui peuvent marcher ont une chance de s’en sortir, de rejoindre l’ambulance la plus proche. Les autres atteints au ventre, qui perdent leur sang, qui ont été touchés aux membres inférieurs ne sont ramassés que de nombreuses heures après la cessation des combats, voire plusieurs jours après. Autrement dit, le plus souvent, ils sont morts dans d’atroces souffrances, seuls, dans le froid, alors que nombre d’entre eux auraient pu être sauvés avec un service médical performant (Sandeau (b), 2004). Percy et Larrey interviennent auprès de l’Empereur pour lui faire sentir combien la situation est intolérable. En 1797, Larrey parvient à imposer son ambulance mobile qui fait ses débuts avec l’armée d’Italie. En fait, il y a deux types de véhicules : la première attelée à 2 chevaux peut ramasser deux blessés et la seconde tirée par 4 chevaux, quatre hommes. Sur les côtés, il y a des poches qui transportent du matériel médical (instruments et pansements). En 1812, après la campagne de Russie, ce système est présent dans tous les corps d’armées. Il n’y a que la Garde qui est équipée de façon satisfaisante pendant toute la durée de l’Empire (Marchioni, 2003). En 1799, Percy met en place le Wurtz avec l’armée du Rhin. C’est un caisson destiné à l’artillerie recouvert de cuir pour transporter des chirurgiens, jusqu’à 8, pour donner les premiers soins aux blessés, ainsi que du matériel médical. Au retour, grâce aux brancards contenus dans le caisson des blessés légers peuvent être évacués. Très inconfortable, ne permettant pas de rapatrier des blessés graves, très coûteux pour les commissaires de guerre puisque tracté par 6 chevaux, il est totalement disparu en 1810 (Percy, 2002 & Ducoulombier, 2004). Pendant toutes les guerres napoléoniennes, les blessés sont négligés, abandonnés à leur propre sort. Devant cet état de fait, Percy, après la bataille d’Eylau en 1807, réclame la création d’un corps d’infirmiers militaires. Une 1 ère compagnie est formée en Espagne, en 1808. Le 13 avril 1809, Napoléon officialise la création des infirmiers militaires. Ils sont au nombre de 125 répartis en 10 bataillons d’ambulance, dirigés par un homme, le centenier. En septembre 1809, 5 compagnies voient le jour à Vienne, 2 en Italie et 3 en Espagne. Ils doivent récupérer les blessés, les rapatrier vers l’arrière en les protégeant si nécessaire (Sandeau (b), 2004 ; Percy, 2002 & Ducoulombier, 2004). Des locaux insalubres, une absence totale d’hygiène et d’asepsie, des pansements sommaires sans suivi, des chirurgiens débordés par le nombre des blessés, un mépris total de l’homme et de l’Humanité en général, voilà dans quelles conditions évoluent les opérants et les opérés. Les chirurgiens amputent à une vitesse pharamineuse, Larrey battant toutes les statistiques à ce sujet et spectacle affligeant, l’amoncellement des membres découpés qui s’empilent à proximité, attaqués par les premiers bataillons d’insectes. Il n’y a pas d’anesthésie. Les soldats sont maintenus sur une chaise par deux aides. De temps en temps, ils peuvent boire deux verres de gnôle avant l’intervention. Dans le silence la plupart du temps, les blessés subissent-ils les événements. Parfois, ils s’évanouissent. Puis, ils sont pansés avec les moyens du bord. Souvent, le pansement souillé d’un soldat mort est réutilisé, la pénurie en linge et charpie étant bien réelle (Sandeau (a) et (b), 2004 & Musée de l’Armée, sans date). Puis, vient le temps de l’évacuation vers les hôpitaux de l’arrière qui sont fréquemment de fortune, établis dans des endroits inappropriés à cet effet. Aucune organisation ne surnage dans ce flot ininterrompu d’opérations et d’arrivée des hommes à soigner. Les blessés en partance, censés être en convalescence, sont entassés dans des charrettes, sans distinction de pathologies. Ils restent ainsi le temps du voyage qui dure plusieurs jours, sans que le pansement ne soit changé, sans qu’une alimentation adéquate, ni de l’eau, ne soient données, sans couverture pour se protéger du froid, sans avoir la possibilité de descendre pour les besoins. Ils arrivent plus morts que vifs à destination. Ces hôpitaux de campagnes sont des mouroirs dépourvus de tout, sans hygiène, ni asepsie, où des flambées épidémiques surviennent et les cas de gangrènes prolifèrent. Ces épidémies apparaissent sporadiquement dans les premières campagnes de la Grande Armée, partout, en fait, où la misère et la saleté ont matière à se développer. C’est le cas du typhus qui suit l’armée impériale dans toute son épopée. A partir de 1812, le soldat français est harcelé au quotidien par cette maladie qui ne le quitte plus (Sandeau (a) et (b), 2004). D’ailleurs, des études archéologiques le démontrent. En décembre 1812, la Grande Armée fait retraite sur Vilnius. En automne 2001, une fosse commune contenant des ossements de soldats français par centaine y est exhumée. Les recherches sont confiées au CNRS. Cette équipe a commencé par les fouilles du site, l’étude anthropologique et l’analyse des uniformes. Les prélèvements de terre, de tissus et de dents ont été remis à l’Unité des Rickettsies et pathogènes émergents du CNRS. Les scientifiques sont parvenus à séparer les poux des prélèvements par une technique de leur invention. 5 catégories de poux ont pu être ainsi repérés. Dans 3 d’entre elles, la bactérie Bartonella quintana, vecteur de la maladie du typhus, a été isolée. A suivi l’étude des dents de 35 soldats à partir de la pulpe dentaire. Cette pulpe présente sous forme de poudre, après étude ADN, a permis de déterminer l’existence de bactéries ayant contaminé leur hôte : Bartonella quintana dans 7 corps et Rickettsia prowazekii dans 3 autres. Autrement dit, après examens, 30% des soldats enterrés à Vilnius souffraient des maladies causées par les poux et en seraient morts. Ces insectes, vecteurs de la maladie du typhus, ont donc joué un rôle prépondérant dans la retraite de Russie (Raoult, 2001-2010).
En 1805, la Grande Armée, composée d’environ 100 000 hommes, est victorieuse. Austerlitz est l’apothéose d’une campagne menée tambour battant. 2 000 morts et 2 000 blessés sont ses maigres pertes. Tous les blessés sont récupérés et soignés. Presque 50 % survivent. Mais, après le soleil d’Austerlitz, une épidémie de typhus tue environ 12 000 hommes dans les hôpitaux de Vienne et de Brünn (Sandeau (a) et (b), 2004 & Meylemans, 2010). En 1806, 16 000 hommes sont blessés et malades. Si Iéna et Auerstaedt sont des victoires, elles n’en sont pas moins extrêmement coûteuses en vies humaines. Ils sont dispersés dans des hôpitaux de campagne ou des installations de fortune. L’absence d’hygiène, d’aliments et de soins provoque la mort de la moitié d’entre eux (Sandeau (a) et (b), 2004 & Ducoulombier, 2004). En 1807, Eylau tue 3 000 hommes et génère 7 000 blessés qui sont abandonnés sur le champ de bataille pour la plupart ou soignés dans des conditions abominables. 1/3 meurt des suites de leurs traumatismes. La même année, Friedland est aussi victorieuse, mais aussi meurtrière, et les pertes sont avoisinantes (Sandeau (a) et (b), 2004 & Marchioni, 2003). En 1809, à Essling, 7 000 hommes sont soignés sur place. A Wagram, les blessés sont convoyés jusqu’aux hôpitaux de Vienne qui sont submergés. Toutefois, la précarité est toujours la même. La guerre en Espagne, sur toute sa durée, est responsable de la perte de 400 000 hommes. L’année 1808, à elle seule, voit 30 000 malades sur les 250 000 présents dans la péninsule ibérique (Sandeau (b), 2004). En 1812, si la campagne de Russie semble se dérouler favorablement, elle se termine en désastre absolu. Les blessés sont abandonnés. Les cosaques massacrent tous les hommes qui leur passent sous la main : blessés, malades, officiers de santé qui sont difficilement remplacés par la suite, etc. 6 000 hommes sont blessés à Smolensk, 10 000 à la bataille de la Moskowa qui sont déposés dans les villages alentours où la plupart décèdent (Sandeau (a) et (b), 2004). Si les victoires s’enchaînent, chacune d’entre elles affaiblit davantage la Grande Armée qui fond comme neige au soleil. Le retour de Moscou à Smolensk tue les ¾ des blessés et malades. Au passage de la Bérézina, ils sont laissés sur place. La débandade ne permet aucun soin, même si des chirurgiens décident de se sacrifier en restant près de leurs patients (Riaud (b), 2010). Le typhus prolifère. A Vilna, 25 000 blessés sont répartis dans les hôpitaux de la ville. 3 000 survivent. D’après Oleg Sokolov, 300 000 hommes seraient morts lors de la campagne de Russie. Cinq hommes sont morts suite à une maladie pour un au cours des combats (de Faber du Faur, 1812 ; Marchioni, 2003 ; Muylemans, 2010). 22 000 blessés lors de la campagne de Saxe en 1813, sont hospitalisés dans les villes de retraite : Ulm, Leipzig, Bautzen, etc. Le typhus est omniprésent. Le 1 er octobre 1813, la maladie arrive à Mayence. 4500 soldats sont hospitalisés dans cette ville. Environ 1130 sont morts des suites du typhus. D’après Desgenettes, qui est en cantonnement dans la citadelle de Torgau, d’octobre 1813 à janvier 1814, la garnison, qui possède 25 000 hommes, en voit mourir 13 448 sans tirer un coup de fusil (Meylemans, 2010). Les blessés et malades de la campagne de France sont laissés sur le champ de bataille. Les paysans ferment leurs portes à ces soldats porteurs du typhus. La bataille de Waterloo est titanesque. Environ 15 000 Français restent au sol. Personne ne vient chercher les blessés. La débâcle est totale (Sandeau (a) et (b), 2004).
Brièvement, quel (le) s techniques opératoires/remèdes ? Blessures/traumatismes (sous la responsabilité des chirurgiens) : Hémorragies >>> Compression digitale (+ (pas toujours) ligature avec du fil ciré ou du plomb). Maladies (sous la responsabilité des médecins) :
Si les affrontements sont nombreux et meurtriers, ce sont les maladies qui ont bouleversé le plus l’échiquier politique européen. Il est raisonnable de dire que la Grande Armée a été défaite en grande partie plus par la déficience caractérisée de son Service de santé, par le mépris de l’administration, et de l’Etat-major lui-même envers ce corps d’armée, par le manque d’hygiène et par enfin les maladies, que par les combats eux-mêmes. Il est surprenant de voir enfin un homme comme Napoléon, pourtant si avant-gardiste dans ses innovations et sa vision réformatrice, et futuriste de la société, s’être montré si négligent envers les médecins, les chirurgiens et les pharmaciens qui « pouvaient gêner les mouvements de son impériale armée. », si ignorant finalement du rôle fondamental que ces hommes auraient pu jouer dans la pérennité de la Grande Armée, dans la défense de l’Empire en définitive. Pourtant, malgré ce mépris, malgré le plus total dénuement de moyens, ces officiers de santé sont parvenus, et ce n’est qu’une estimation, à remettre sur pied (s) environ 40 % de leurs blessés et malades, ce qui est, au vu des conditions et circonstances, réellement remarquable (Sandeau (b), 2004). Il convient de saluer leur mérite et de rendre hommage à ces hommes d’exception.
(*) Docteur en Chirurgie Dentaire, Docteur en Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques, Lauréat et membre associé national de l’Académie nationale de chirurgie dentaire.
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